réponse à un article publié dans le journal Le Monde

Souhaitant exercer un droit de réponse à l’article publié par le journal Le Monde en date du samedi 4 février 2012 sur l’ « enfer » des classes préparatoires, l’ensemble des associations de professeurs et de proviseurs de classe préparatoire, ne peut guère qu’exprimer ses réserves consternées.

Laissant de côté l’incongruité polémique de la comparaison cinématographiquement étayée avec la formation des commandos de Marines américains, et la méthode qui consiste à compiler des témoignages fort mal vérifiables, et pas du tout vérifiés (la moitié d’une classe sous anti-dépresseurs…), ce qui nous frappe ici, c’est l’entretien d’un mythe, avec ce qu’il implique d’amplification des motifs, et de temps immobile : les professeurs de classes préparatoires sont des ogres, des Barbe Bleue ; sous leur férule brutale, on maigrit, on rougit (des yeux), on pâlit (du cerveau), on court se protéger à l’infirmerie, quand on ose encore se soustraire à la noirceur de l’œil professoral ; et depuis deux-cents ans que les grandes écoles existent, rien n’a changé dans les idéologies et les pratiques, nostalgie de la noblesse d’épée et notes négatives comprises…

Nous ne souhaitons nullement polémiquer, simplement rappeler à la connaissance des lecteurs du Monde quelques faits. Les classes préparatoires sont un service public d’enseignement dont les programmes, les horaires, et les pratiques sont encadrées par deux Ministères, celui de l’Education Nationale et celui de l’Enseignement Supérieur. Leur spécificité est ainsi de délivrer une formation relevant du supérieur dans un cadre, et avec des méthodes, qui relèvent du secondaire. Elles sont donc idéalement placées pour assurer la transition entre les exercices du lycée et les exigences de la recherche telle que les étudiants les rencontreront, en aval, dans leur poursuite d’études. La formation qu’elles délivrent s’insère ainsi parfaitement dans le paysage de l’enseignement supérieur puisque le cycle de formation qu’elles proposent donne lieu à l’attribution de crédits ECTS permettant, à la fin de chaque semestre, de réintégrer, en France, en Europe, ou ailleurs, une formation universitaire. Notons que ce dispositif, qui suppose une Attestation Descriptive fort précise des enseignements reçus, et enlève donc toute opacité franco-française à la formation délivrée en classes préparatoires, est en place depuis 2007.

Ce système d’équivalences et d’insertion dans l’espace international des formations supérieures a évidemment induit une modification des pratiques, notamment de notation, dans les classes préparatoires : la manifestation de la qualité des étudiants imposait que la notation en porte trace. Désormais, la grande majorité des classes préparatoires de France présente une moyenne générale de 10, et valorise ses meilleurs étudiants avec des moyennes supérieures à 15 ; dans les dernières années, un concours aussi prestigieux et réputé intraitable que celui de la rue d’Ulm a vu ses moyennes passer de 6,5 à près de 10, son dernier admissible afficher une moyenne supérieure à 14,8, son premier admis une moyenne supérieure à 18,5 ; 20 % des notes de ce concours littéraire sont désormais supérieures à 14, y compris en littérature ou en philosophie. L’effet induit est bien entendu que les étudiants, mêmes moyens, voient leur travail récompensé par des notes qui ont définitivement cessé d’être infamantes, ce dont les associations de professeurs se réjouissent sans aucune espèce de réserve.

L’esprit qui règne dans ces classes est en effet celui d’une extrême attention des professeurs à l’endroit d’étudiants auxquels ils savent qu’ils demandent beaucoup. Très loin d’être le lieu dévolu à la « casse » des élèves, les classes préparatoires sont des lieux où les pratiques du lycée ont conservé leur cours : un horaire hebdomadaire important, des devoirs écrits et des interrogations orales réguliers, un encadrement rapproché par des professeurs engagés, au sein de groupes à l’effectif stable, permet aux meilleurs étudiants de cultiver leur talent et de nourrir les plus hautes ambitions, comme ils permettent aux étudiants plus fragiles d’acquérir les méthodes qui leur manquent, de préparer leur réussite universitaire, et de compenser, le cas échéant, les fragilités qu’une origine sociale moins favorisée aura pu leur imposer. La relation qui se tisse entre professeurs et élèves de classes préparatoires est, dans l’immense majorité des cas, une relation de confiance, et d’étonnante proximité. Il importe d’ailleurs ici d’indiquer avec force que cette qualité est une règle nationale et qu’elle s’observera aussi bien dans les établissements d’élite que chacun connaît, que dans les classes préparatoires plus modestes où elle peut sembler aller davantage de soi. Les directions, comme les enseignants, des grandes écoles en témoigneraient aisément : leurs élèves intègrent avec un fort sentiment de reconnaissance intellectuelle à l’égard de leurs professeurs de classes préparatoires, et non avec la rancœur ou l’angoisse silencieuse des victimes. Le passage en classe préparatoire ouvre des portes, mais pas au prix, contrairement à ce qui se dit, d’un sacrifice qu’il s’agirait d’accepter de subir sans trop en pâtir ; c’est d’abord une aventure intellectuelle et existentielle où se créent entre professeurs et élèves, entre élèves et élèves, des compagnonnages féconds qui durent souvent toute la vie.

Le système des classes préparatoires est pourtant bien, en apparence, un système sélectif à l’entrée et à la sortie, ce qui rend crédible la présentation infernale qu’on en donne. Mais il faut rappeler, d’une part, qu’il scolarise chaque année 80 000 étudiants (40 000 en première, 40 000 en deuxième année). C’est assurément bien moins que le nombre de bacheliers, mais c’est beaucoup trop pour que les professeurs de classes préparatoires tortionnaires qu’on nous présente puissent exercer les sévices qu’on dit avec l’impunité qu’on dit. Surtout, c’est le signe que la sélection à l’entrée n’est pas si violente qu’on veut bien l’affirmer. On peut le prouver encore avec une donnée que les associations de professeurs déplorent : toutes les classes préparatoires de France ne sont pas pleines, et le nombre de bénéficiaires du service offert pourrait donc augmenter encore. Quant à la sélection à la sortie, il importe de révéler la forêt que cache l’arbre qui seul intéresse les détracteurs du système national des classes préparatoires. Il est vrai qu’il existe quelques très grandes écoles, très prestigieuses, et très difficiles d’accès, imposant un travail considérable à ceux qui les briguent, mais il existe, en aval des classes préparatoires, quantité de débouchés plus accessibles, tant et si bien que dans les filières scientifique et commerciale, on peut considérer le parcours comme tubulaire : il y a à l’arrivée autant de places dans les écoles que de candidats au concours ; celui-ci classe donc effectivement les réussites, mais il les ventile aussi, permettant à chacun de trouver sa place. La filière littéraire, qui faisait jusqu’en 2009 exception, puisqu’elle conduisait pour l’essentiel aux Écoles Normales Supérieures et à leurs 200 places (pour 4000 candidats) vient en outre de faire sa révolution : les Écoles Normales Supérieures de Lyon et de la rue d’Ulm ont construit une Banque d’Epreuves Littéraires commune, à laquelle participent désormais quarante établissements d’enseignement supérieur, dont les écoles de commerce, un certain nombre d’IEP, un certain nombre de formations universitaires ; on est ainsi passé, entre 2009 et 2011, de 200 à 900 admis. Le débouché universitaire, essentiel pour les littéraires, continuant de fonctionner à plein, le taux de réussite des étudiants de la filière est ainsi comparable à celui des scientifiques et des commerciaux : supérieur à 90 %.

Terminons d’un mot en essayant de comprendre les effets induits de la représentation infernale les classes préparatoires. Bien sûr, il pourrait s’agir d’en demander simplement la suppression en vertu des sévices qu’on y infligerait, et de la sollicitude dont le « care » nous fait obligation envers les victimes supposées de ce système.

Mais c’est de ce genre de bonnes intentions que, précisément, l’enfer est pavé. Nous savons tous parfaitement que les enfants des milieux favorisés et informés par Le Monde resteront candidats aux classes préparatoires, quoi qu’on en dise. A qui fait-on donc peur en décrivant les classes préparatoires comme un enfer ? Précisément à ceux qui hésitent encore à se lancer dans l’aventure, qui hésitent encore à prendre leur part des formations d’excellence que la république offre, non pas seulement aux enfants de ses élites en mal de reproduction, mais à tous ses enfants s’ils y sont prêts. À ceux-là, à tous ceux-là, comme à Marie Desplechin, nous ne pouvons répondre qu’une seule chose : « Venez voir, venez apprendre à travailler et réfléchir, venez juger sur pièces et vous défaire des préjugés dont nous sommes quotidiennement abreuvés. Profitez des journées portes ouvertes, rencontrez les professeurs, candidatez dans APB : vous serez accueillis avec bienveillance, attention, et sérénité. »

Pour les associations de professeurs et proviseurs de classes préparatoires Marc Even Président de l’APPLS